Mon rêve familier

1921

Text Paul Verlaine

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même,
Ni tout à fait une autre, et m’aime, et me comprend.

Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule hélas cesse d’être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse? je l’ignore…
Son nom? je me souviens qu’il est doux et sonore,
Comme ceux des aimés que la Vie exila;

Son regard est pareil au regard des statues
Et, pour sa voix, lointaine, et calme et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.